par François Leroux
En septembre, après un été chaud et peu pluvieux, l’automne s’installe tout doucement et le couvert feuillu de la forêt est déjà ponctué d’une myriade de tons passant du rouge, orangé, jaune et or plus ou moins vifs. Il est midi et pendant que nous prenons notre habituel brunch dominical sur la terrasse, nous observons deux voiliers de bernaches du Canada faisant route vers le sud pour leur migration annuelle. Ces palmipèdes partis en caquetant à qui mieux-mieux laissent derrière eux un silence si incroyable qu’il nous force à chuchoter la suite de la conversation que les oies avaient interrompue. Autour de nous, il semble que nulle créature n’ose briser ce précieux silence.
Bienvenue dans les Blue Hills, petit havre de silence et de paix situé haut perché au sud-ouest de Morin-Heights. Lieux de villégiature incontournable des Basses-Laurentides pour de nombreux citadins du Grand-Montréal et de la région d’Ottawa, les Blue Hills accueillent de nombreux « weekenders » et plusieurs résidents permanents, certains depuis le début du 20ième siècle. Beaucoup d’entres eux sont venus s’y installer dans les années 1960 et 1970 et d’autres plus récemment arrivés dans les derniers vingt ans. On dénombre à ce jour dans la partie Morin-Heights plus de 225 maisons et 239 électeurs, pour une population totale d’approximativement 300 personnes.
Un peu de géographie : Montagnes, lacs, rivières et forêts
Le Mont Hurtubise, la montagne que l’on associe au secteur des Blue Hills, est situé dans les Basses-Laurentides, dans la MRC des Pays-d’en-Haut, à 100 km au nord-ouest de Montréal et à 145 km d’Ottawa. Il est « à cheval » sur trois municipalités du territoire, Morin-Heights, Wentworth-Nord et St-Adolphe-d’Howard. Ce chevauchement a d’ailleurs connu sa part de controverses lors des premières tentatives de développement au milieu des années 1940 en raison d’un découpage lié à des considérations d’intérêts municipaux. Malheureusement ou heureusement, la nature et la géographie physique n’ont pas de frontières politiques.
Le massif montagneux du territoire a une superficie approximative de 25 kilomètres carrés et son sommet, le Mont Hurtubise, culmine à 509m d’altitude, un des plus hauts des Basses Laurentides. Il est ponctué de sept lacs, nommément les lacs Peter, Vert, Corbeil, Cook, Margaret (Joe/Jackson), Noiret (Noir), et aussi Lac Bélanger (Jenny) situé à la limite de Wentworth-Nord. Fait à noter, l’un de ceux-ci, le lac Vert, a permis à la municipalité de Morin-Heights d’approvisionner en eau potable le centre du village de 1946 à 2008. La rivière Chevreuil, affluent de la rivière à Simon, longe toute la partie nord du territoire, près de laquelle a été construite l’ancienne voie ferrée du CN, l’actuel Corridor Aérobique. On peut sans contredit affirmer que 95% du massif est couvert de forêt, ce qui en fait un terrain de choix pour la faune, la flore, la villégiature et les sports de plein-air. C’est sur l’un des flancs du Mont Hurtubise que se trouve le centre de ski alpin Sommet Morin-Heights.
Les premiers arrivants
Outre les autochtones qui ont certainement sillonné et probablement peuplé l’endroit, nous savons que le territoire a été initialement propriété de la Couronne Britannique. C’est vers le milieu du 19ième siècle qu’arrivèrent les premiers habitants du bas de la montagne sur le rang 2 du township de Morin. Sur les lots 41 à 47 qui avaient tous 100 acres de superficie, on retrouve notamment John Murray, Alfred Baldwin, Robert McVicar, William Gilmour, Francis Murray, John Riley, John McMahon, et William McCulloch. Vers 1880 et après, de nouveaux arrivants s’installent plus haut sur les flancs du Mont Hurtubise. Parmi ceux-ci nous avons retrouvé les actes notariés de cette deuxième vague d’arrivants mentionnant le prix d’achat des lots:
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- 1883 - John Reilly 30,00$ Lot 45, Rang 2, 100 acres
- 1889 - Pierre Henry dit Langlois 31,50$ Lot 49, Rang 3, 70 acres
- 1901 - James Henderson 24,00$ Lot 48, Rang 3, 58 acres
- 1904 - Alfred Corbeil 56,40$ Lots 46, 47, Rang 3, 188 acres
- 1906 - William Watchorn 50,00$ Lots 51, 52, Rang 3, 200 acres
Il ne fait pas de doute que la vie des cultivateurs de ce coin de montagne était extrêmement dure. Le défrichage et les durs travaux à faire nécessitaient l’achat d’outils divers qu’il fallait se procurer au village. Avec pour seul moyen de transport le cheval et la charrette, aller au village de Morin Flats ou même jusqu’à St-Jérôme n’était pas une sinécure. Peu Peu à peu plusieurs « habitants » vendirent, parfois même abandonnaient leur lot, n’emportant avec eux que l’essentiel pour partir s’installer ailleurs.
Les montréalais s’intéressent à la campagne : Les premiers développeurs
Au début de 20ième siècle certains riches montréalais on « senti » l’appel d’air qui allait se produire avec l’augmentation de la population urbaine, l’industrialisation galopante et l’enrichissement collectif qui allait en découler. Il leur semblait évident que les grands espaces verts comme les Laurentides allaient éventuellement devenir nécessaires aux citadins en mal de nature. Parmi ces précurseurs nous avons eu ici, à Morin-Heights, Antoine Léonidas Hurtubise (décédés en 1923) et son épouse Marie-Louise Bourdon (décédés en 1935). Originaire de Saint-Basile-Le-Grand et venu s’installer à Montréal vers 1894, monsieur Hurtubise, homme aux multiples talents, fut échevin et responsable des finances de la ville de Montréal. Il fut, entre autres, négociant en foin et exportât cette essentielle matière jusqu’au Royaume-Uni. La famille a entre autres été propriétaire d’un immeuble dans le Vieux-Montréal, lequel abritait l’hôtel Riendeau.
Monsieur Hurtubise a acheté des dizaines de lots de 100 acres à Morin-Heights et, au fils des ans, en vint à acquérir une importante partie les terres environnantes. Comme vous le devinez, la montagne a été nommée Mont Hurtubise à son honneur. Au décès de madame Hurtubise ce sera leur fils Paul Hurbubise (1894-1968) et son épouse Jenny Adrain (1907-1994) qui prendront le relais et continueront le projet familial du grand domaine dont ils ont hérité. Peu à peu, ils s’activeront à la mise en lots pour l’éventuelle revente « à la pièce » de ce qu’ils pensaient nécessaire au futur développement de la montagne.
L’industrie forestière
L’industrie forestière de cette période de notre histoire (1880 jusqu’à 1950) a fortement contribué à l’essor économique des Basses-Laurentides et les terres entourant le Mont Hurtubise n’ont pas fait exception. Preuve en est des actes de vente que nous avons épluchés dans les archives qui nous ont été récemment léguées par la famille Novy et désormais conservé dans les archives de l’Association Historique de Morin-Heights. Nous savons ainsi que Théophile Gandon a vendu des droits de coupe de bois dans le lot 47 du rang 3 de Morin à la Laurentian Lumber Co, le 25 septembre 1903, par l’acte no. 19366 devant le notaire C. Cushing, pour la somme de 5000$, une coquette somme à l’époque. Dans ce même document nous pouvons lire que des transactions antérieures et ultérieures font passer le lot 47 à Joseph Corbeil puis, en 1907, de la Laurentian Lumber Co. à l’entreprise J.E. Seale Lumber Company.
Quelques années plus tard, Antoine Léonidas Hurtubise a tracé, commandé et fait construire une route afin de permettre de pouvoir se rendre dans la montagne et jusqu’au sommet en auto, tracteur ou camion. Ernest Charbonneau qui avait une ferme sur le 4ième rang, au nord de la voie ferrée du CN, a activement participé aux travaux. C’est en son honneur que monsieur Hurtubise a donné le nom Charbonneau à sa nouvelle route qui est par la suite devenue la piste de ski de fond Birkbeiner.
Parmi les importants grands projets forestiers du début du siècle il est important de mentionner celui de Joseph E. Seale. L’entreprise de monsieur Seale a « bûché » le coin de forêt du lot no. 47 et probablement beaucoup d’autre autour pendant plus d’un demi-siècle. L’un des chantiers des environs a été en opération par l’entreprise J.E. Seale jusqu’au 10 avril 1924, date à laquelle le lot no. 47 a été vendu à Marie-Louise Bourdon, veuve d’Antoine Léonidas Hurtubise.
Nouveau propriétaire, nouvelle vocation : L’arrivée du Crédit Foncier Franco-Canadien
Le 15 avril 1947 Paul Hurtubise vend au Crédit Foncier Franco-Canadien une partie de ses terres (536 acres), incluant le versant sud du Mont-Hurtubise. Cet achat avait pour but de faire de l’endroit un immense espace de chasse et de pêche pour les patrons et les fortunés clients de la banque. Fait à noter, le Crédit Foncier a été présent au Canada de 1880 à 1979.
Quelques controverses entourant la route d’accès à ce « grand domaine » ont ponctué cette période. En bref, le Crédit Foncier voulant se garder l’exclusivité de l’usage de la route (l’actuel chemin des Blue Hills) fit promesse de construire une route alternative d’égale qualité pour les résidents du chemin Old Settlers et des environs. La nouvelle route construite ne s’avérant pas à l’égal de la route initiale, des disputes menèrent à d’éventuelles mises-en-demeures qui finirent en cour de justice à l’avantage des résidents. La période « Crédit Foncier » dura plus de 10 ans, jusqu’au la vente du domaine.
Un point tournant et essor exceptionnel : Le rêve de Jaroslav Novy et Vilma Marushiak
Jaroslav Novy, né à Prague en 1907 et soldat de la Deuxième Guerre Mondiale, est venu d’installer au Canada en 1951. Au cours de ses années à Montréal, M. Novy suit quelques cours d’architecture à l’Université McGill. Il pratiquera plusieurs métiers à Montréal, Sept-Îles et Toronto où il rencontrera Vilma Marushiak, née à Okolicne en Slovaquie en 1927. Ils se marieront en 1953. Un jour de 1957, monsieur Novy remarque dans les pages du Montreal Star une annonce classée mettant en vente une grande propriété de Morin-Heights. De fil en aiguille, il fait ses devoirs, pousse ses recherches et en conclut que l’achat du domaine lui apparaît comme une bonne affaire. Voici la suite, c’est une belle histoire.
Roulant un jour sur la route 117, monsieur Novy remarquât le panorama imprenable des montagnes environnantes, nimbées d’un léger brouillard bleu. C’est par ce « flash » qu’il donnera le nom de Blue Hills à son nouveau domaine et à l’entreprise qu’il incorporera. Son rêve était de développer ces terres et d’en faire un paradis pour les vacances. En mai 1957 Jaroslav et Vilma achètent la propriété de 536 acres du Crédit Foncier grâce, en partie, à une mise de fonds de 5000$ en provenance de son épouse Vilma. Le domaine incluait sept chalets, deux lacs, quelques routes privées dont les actuels chemins des Blue Hills, Old Settlers et Moon River, deux chevaux, une vache et une Jeep Willys.
Le premier bureau de vente de la nouvelle Compagnie Blue Hills Ltée fut installé dans une pièce de la plus grande maison déjà construite bien des années auparavant. Les autres maisons furent rapidement mises en vente afin de permettre de financer la construction de routes donnant accès aux lacs. Le développement de nouvelles propriétés en bordure du lac étant essentiel au développement de l'entreprise, les berges ont été rapidement subdivisées en lotissements ayant chacun 100 pieds sur le lac. En 1957, alors que le chemin Lakeshore n’existait pas encore, le premier lot en bordure du lac est vendu, tout juste à côté de la future Plage Senior du Lac Cook.
Dès 1957, les sept chalets au sommet du Mont Hurtubise sont alimentés en électricité par la Gatineau Power. Les chalets qui se trouvaient sur les lacs Margaret et Jenny (aujourd'hui lac Bélanger) n'avaient pas encore l'électricité. Lorsqu’Hydro-Québec prit en charge le réseau de la Gatineau, Hydro refusât l’électrifier les routes autour du lac. Ce n’est que lorsque monsieur Novy eut réussi à persuader Bell Canada d’implanter un réseau téléphonique, donc avec poteaux et fils, qu’Hydro revint sur sa décision et utilisat les nouveaux poteaux pour desservir toute la région en électricité, y compris les endroits hors du domaine des Blue Hills.
Au cours des années ’60, il devient évident qu’il faut construire plus de routes afin de donner accès direct aux lacs. On construit le chemin Forest Hill pour atteindre le lac Cook et le chemin Lakeshore (ancienne rue Maplewood) qu’on rallonge de part et d’autre du lac. D’autres rues se sont ajoutées par la suite, entre autres les rues Corbeil, County et Montfort.
Il fut un temps où toutes ces routes et chemins étaient privés et donc leur entretien à la charge des propriétaires. Puis en 1970, l'assiette fiscale représentant les propriétaires des Blue Hills et des environs étant suffisante, la Municipalité de Morin-Heights acceptât de prendre le relais et d’assurer l’entretien des rues et leur déneigement. Très rapidement, il n’y eut plus de terrains à vendre en bordure du lac. En 1969, monsieur Novy entreprend de transformer une région marécageuse en un petit lac, au pied de la montagne et bordant le chemin des Blue Hills. Il nommera le lac du nom de son fils, Peter.
Il est important de noter que les pourtours du domaine Blue Hills Company (propriété des Novy) étaient eux aussi en plein essor. Plusieurs centaines d’acres restées propriété de Paul Hurtubise et son épouse Jenny Adrain ont été cadastrées en 1953, entre autres l’entièreté du lac Jenny (Bélanger) comptant 29 lots et tous vendus en l’espace de 10 ans. La plupart de ces lots avaient 150 pieds de rive sur le lac et deux acres et plus de superficie. Il en fut de même pour tous les terrains situés autour du lac Margaret, aussi propriété de la famille Hurtubise.
Monsieur Novy a tenu à promouvoir les sports et les activités sociales entre résidents des Blue Hills. C’est ainsi que Le Club Blue Hills fut créé en août 1959. Les membres étaient élus et avaient pour rôle de représenter les propriétaires de Blue Hills et d’assurer que la vie des résidents soit bien organisée et agréable. Au cours des années ’70, ce club atteint son apogée et organise un camp d'été pour les enfants et chaque semaine des parties de softball « pères-enfants » ont lieu sur le terrain de l'école du village. Le point culminant de l'été était la régate annuelle qui se déroulait sur la plage Junior avec concours de natation, courses de canot, jeux pour les petits. Ce club est en quelque sorte l’ancêtre de l’Association Blue Hills qui regroupe aujourd’hui tous les propriétaires, riverains ou non, des lacs Cook et Corbeil.
De nos jours, tous les résidents du massif du Mont-Hurtubise utilisent le terme Blue Hills lorsqu’ils parlent de l’endroit où ils habitent.
Voilà, tels ont été les rêves des pionniers/pionnières tels les Hurtubise, Novy et autres : Bâtir autour d’un grand espace de nature que sont les Blue Hills un havre de paix rassemblant une communauté soudée dans le respect des valeurs de chacun. Il n’en tient qu’à nous de préserver ce rêve et d’en assurer la continuité.
Grands mercis à Susan McNabb de sa précieuse collaboration, à Lionel Hurtubise et Andreas Kraus pour leurs plans, récits et photos et à mesdames Susan et Jana Novy qui ont cédé à l’Association Historique de Morin-Heights une grande partie de leurs archives familiales et nous ont autorisé à utiliser une partie du texte «Histoire des Blue Hills » qu’elles ont écrit en 2007.