par Sandra Stock
Le Lac Bouchette est le plus grand lac de la municipalité de Morin-Heights, faisant environ un mile et un quart de long et moins d’un quart de mile en largeur, à son point le plus large. Le lac alimente un marécage énorme et plusieurs cours d’eau s’y déversent. Il est cependant peu profond en comparaison avec plusieurs autres lacs dans les Laurentides. Il s’écoule dans la Rivière à Simon, qui rejoint la Rivière du Nord à Piedmont et en double probablement le volume. C’est le seul lac dans le secteur résidentiel de Morin-Heights qui possède une île : l’Île aux Bleuets. Le meilleur endroit pour apprécier l’étendue du lac est probablement du pont sur la Route 329 qui mène à St-Adophe d’Howard.
Le Lac Bouchette a porté différents noms depuis que la région est habitée, soit vers la moitié du XIXe siècle. Le nom Bouchette semble être apparût assez tôt, environ vers 1910, mais sur une carte du Canadian Pacific Railway (CP Rail) il portait le nom de «Brochette»! Toute personne faisant une recherche à caractère historique vous dira qu’il existe souvent des variantes orthographiques dans les noms utilisés sur les cartes et dans les recensements. Le nom «Kennedy» figure aussi sur une très belle photo ancienne (vers environ 1890) qui appartient à Dorothy Kennedy Garayt, la petite-fille de deux des premières familles à s’établir dans le secteur. De plus, le nom «Lac St-Louis» figure sur les cartes géographiques et sur des cartes postales qui date de 1920 à 1960.
Aucune de nos sources ne nous a renseignés sur les raisons particulières de toutes ces variantes. Toutefois, c’est en 1970 que le Lac Bouchette a officiellement été nommé, à l’honneur de Joseph Bouchette fils (1774-1841) qui fut l’un des premiers, sinon le premier cartographe à représenter la région laurentienne. Il fut l’Arpenteur général du Bas Canada pendant plus de 30 ans. En plus d’avoir été cartographe, il était artiste, écrivain et fit une carrière distinguée dans le service militaire durant la Guerre de 1812. Joseph Bouchette, né à Québec d’une très bonne famille, aurait été éduqué principalement à la maison. Joseph Bouchette, père, était aussi cartographe et son oncle, Samuel Holland, était un géographe et cartographe de renom ayant tenu des postes prestigieux pour le gouvernement colonial. M Bouchette parlait très bien l’anglais et a d’ailleurs rédigé plusieurs de ses ouvrages en français et en anglais. Il est intéressant de mentionner qu’à cette époque, tout de suite après la conquête britannique de la Nouvelle France, le Bas Canada (Québec), les rencontres sociales entre anglophones et francophones étaient chose courante et les mariages mixtes n’étaient pas rares. M Bouchette s’était marié en 1797 avec Adélaide Chaboillez, qui venait d’une famille bien nantie oeuvrant dans la traite de la fourrure à Montréal. Ils eurent cinq enfants.
Le nationalisme extrême de la période victorienne n’avait pas encore fait surface à cette époque (soit vers la fin du XVIIIe siècle). L’église n’était pas encore aussi présente et opprimante qu’elle le deviendra plus tard au Québec. Joseph Bouchette était plus qu’un homme du Siècle des lumières, il était instruit, intéressé à la nature, aux sciences, aux découvertes et avait une ouverture sur le monde.
Il fut l’un des membres fondateurs de la Literary and Historical Society of Quebec (1824), la plus vieille société d’intellectuels au Canada. Il eut une brève et malheureuse carrière politique au sein du gouvernement du Bas Canada, comme il n’appuyait pas le mouvement réformiste des Patriotes, qui a entraîné la Rébellion de 1837-1838, durant laquelle l’un de ses fils fut impliqué de près et même brièvement emprisonné.
Joseph Bouchette a laissé derrière lui une œuvre assez importante. Il a voyagé à pied et en canoë en compagnie de guides autochtones dans le but de dessiner des cartes de la région. Arpenteur général du Bas Canada de 1803 à 1840, il est aussi l’auteur des premiers précis de la province : le premier parut en 1815, intitulé The British Dominions in North America (Londres, 1815) et le second en 1831. En 1832, il a écrit Report on the Indians of Lower Canada, l’une des premières études assez objectives sur les nations autochtones réalisée par un européen. Joseph Bouchette est mort à Montréal en avril 1841. Innovateur dans son domaine, il est en réalité l’un des premiers cartographes du Canada et du Québec et mérite au moins un lac porte son nom.
Afin de comprendre comment le Canton de Morin s’est développé, il faut étudier la carte prise dans «Carte du Comté d’Argenteuil, Service du Cadastre, Montréal, 20 octobre 1924». Le canton était divisé en six rangs numérotés de I à VI dont chacun était subdivisé en lots de 100 acres de long (mesure anglaise). Des terres de la Couronne furent distribuées en lots rectangulaires étroits, bien qu’à cause des particularités du terrain, marécageux par endroits, il est parfois arrivé que deux demi-lots furent donnés qui formaient un carré.
Le Lac Bouchette se situe surtout entre le IIIe et le IVe rang, mais vous remarquerez que la pointe du triangle touche le VIe rang. Selon le document qui accompagne la carte, «Le Canton de Morin fut érigé le 19 février 1852, Reg. L, Special Grants, folio 846”, les propriétaires d’origine sont énumérés plus bas. La date inscrite est l’année où les terres furent officiellement transférées bien que certaines aient été bâties un peu avant.
Isaac Jekill, 1868, Rang III, Lot 38 et Range IV, Lot 38, 1882
Francis Watchorn, 1871, Rang III, Lot 37
Robert Newton, 1871, Rang III, Lot 36
Jean-Baptiste Légault, dit Deslauriers, 1871, Rang III, Lot 32
Barthélemé Groulx, 1871, Rang III, Lots 34 et 35
Joseph Bélisle, 1873, Rang IV, Lot 29
William Byrns, 1879, Rang III, portion Sud-Ouest du Lot 26 et Nord-Est du Lot 27
Benjamin Doherty, 1883, Rang IV, Lot 37
Moïse Bélisle, 1884, Rang III, Lot 33
Hormidas Lafleur, 1889, Rang III, portion Nord-Est du Lot 26 et Sud-Ouest du Lot 25
À proximité, mais pas aussi près du lac : Toussaint Despatis, 1889, Rang II, Lot 27 et Félix Corbeille (tel qu’épelé sur la liste), 1872, Rang II, Lot 28.
Presque tous ces pionniers ont des descendants qui habitent encore les environs.
Tel qu’indiqué sur la carte, les familles Groulx et Légault furent les premières à avoir un terrain au bord de l’eau. Au XIXe siècle, habiter au bord d’un lac n’était pas aussi recherché qu’aujourd’hui. Pour ces fermiers, vivre près d’un lac n’était réellement bon que pour la pêche et la coupe de glace l’hiver pour les besoins de conservation de la nourriture. Les nombreuses sources, les nombreux ruisseaux et la Rivière à Simon fournissaient assez d’eau pour irriguer les terres. Par contre, une génération plus tard on commença à utiliser les propriétés comme résidences d’été et à voir des camps apparaître. Les gens se mirent à tirer davantage profit des activités de plein air et des avantages qu’offre la vie près d’un lac.
Il faut se rappeler que le Lac Bouchette n’a pas toujours été aussi grand. En 1905, la Villeneuve Lumber Company avait obtenu le droit d’inonder de Javier Guénette, propriétaire des terres près de la Route 329 (appartenant aujourd’hui à la famille Green). Une digue de bois avait été installée où le lac se déverse dans la Rivière à Simon, ce qui eut pour effet de doubler la taille du lac. La scierie de la compagnie Villeneuve fut construite où se trouve la digue. L’entreprise fut vendue à l’Argenteuil Lumber Company qui devint plus tard J.E. Seale & Sons Lumber Company. Le premier moulin des Guénette avait été construit en 1880 à cet endroit mais plus tard déménagé dans le village près du pont sur le chemin du Lac Écho. Toutes les scieries de Morin-Heights furent rapprochées du village dans les années 1920, durant lesquelles surtout des résidents saisonniers habitaient le Lac Bouchette. C’est aussi à cette époque que le camp des Guides du district de Montréal s’y installa. Dans le but de préserver la grande taille du lac, Fernand Guénette remplaça la digue de bois par un barrage en ciment beaucoup plus résistant vers 1935.
Les familles récipiendaires de terres de la Couronne que nous avons mentionnées, et d’autres venues plus tard au cours du XIXe siècle, étaient bien sûr des familles de fermiers. Ils avaient réussi à défricher la région malgré la difficulté du terrain rocailleux et en pente pour y exploiter des fermes diversifiées. Pour accroître leurs revenus, ils vendaient du bois de chauffage et des billots, faisaient de la potasse avec le bois franc et il arrivait qu’ils aient des surplus de récoltes à vendre. Plus tard, certains travaillèrent dans les scieries et dans les camps de bûcherons l’hiver. Plusieurs de ceux qui avaient des métiers, les forgerons, les ébénistes, etc. durent quitter la ferme et le village pour se trouver du travail ailleurs. Certains ouvrirent des commerces et un très très grand nombre de leurs descendants, de la deuxième et troisième génération, émigrèrent dans l’Ouest canadien et aux États-Unis. L’agriculture sur ces terres difficiles ne parvenait pas à faire vivre une grande population.
Laura Davis Nesbitt, une historienne qui a connu un grand nombre des premiers habitants à s’établir au lac, a documenté les premières années autour du Lac Bouchette dans «Morin Heights, 1855-1955». En 1955, la majeure portion de cette région était encore constituée de terres cultivées et plusieurs maisons d’été et des camps y étaient déjà construits. Elle décrit Isaac Jekill, un colon très impliqué, capable et éduqué, dont la famille avait émigré d’Irlande et s’était d’abord établie à Gore (Lakefield) : «William Jekill est venu d’Irlande avec sa femme, son fils et sa fille. Ils vivaient à Gore. Après sa mort, son fils Isaac et le reste de la famille sont déménagés à Morin, mais nous ne savons pas exactement en quelle année. Il est pourtant écrit qu’en 1850, Isaac Jekill a donné une ferme à James Kennedy pour l’inciter à s’y établir. Isaac Jekill avait organisé une fraternité protestante (Orange Lodge) à Morin et en fut le leader jusqu’à sa mort en 1894. Il avait marié Mathilda Stapleton de St-Sauveur en 1856 et ils eurent deux fils et deux filles. Il fut nommé maître de poste quand le bureau de poste fut ouvert en 1877 à Morin Flats. Il était impliqué dans les affaires municipales à titre de secrétaire-trésorier et juge de paix. Il fut aussi maire pendant 20 ans. Il avait ouvert un magasin à Morin Flats, que William son fils, a plus tard repris, dans la maison qui a plus tard appartenu à Augustin-Norbert Morin (aujourd’hui la maison de Melvin Dey….)» (Pages 24-25)
La famille Stapleton qui avait un magasin général à St-Sauveur a aussi joué un rôle important dans l’histoire de Morin. Le Mont Stapleton, près du Lac Bouchette, leur appartenait. Les Jekill ne semblent pas avoir vécu sur leur terre du Rang IV. Ce n’est que beaucoup plus tard dans les années 1930 que le petit-fils d’Isaac a construit une résidence secondaire sur ce côté du Lac Bouchette. La maison de la famille Jekill (voir The Porcupine / Le Porc-épic no 7) tient encore debout, au coin des Routes 364 et Route 329 (Lot 38, Rang III), mais elle est en très mauvais état. Cette maison de bois équarri, qui date de 1850, devrait certainement être protégée à titre d’édifice patrimonial. Aujourd’hui les propriétés autour du lac semblent continuer à changer de mains et à être subdivisées pour la revente.
Un peu plus loin sur la route vers St-Adolphe d’Howard, se trouve la ferme ayant appartenue à Francis Watchorn, marié à Margaret Ann Hamilton, fille de George Hamilton, le premier maire du Canton de Morin. Cette ferme, située sur un site attrayant le long de la Rivière à Simon, est devenue la célèbre maison de pension Watchorn qui porte aujourd’hui le nom de Restaurant/Gîte Clos Joli. À cet endroit, la Rivière à Simon amorce une descente considérable, créant les magnifiques chutes Watchorn. Au XIXe siècle, les bûcherons, dont un grand nombre ne savait pas nager, y poussaient bravement les billots qui s’entassaient en bas des chutes et flottaient jusqu’au moulin à Morin Flats. Cet endroit devint plus tard un merveilleux endroit pour la baignade des enfants et les pique-niques des paroissiens. Mais comme la population de Morin-Heights ne cessait d’augmenter, des questions de sécurité ont forcé la fermeture au public des chutes Watchorn.
Le livre du centenaire 1855-1955 décrit la prochaine propriété, «Aux limites de Morin sur la route vers St-Adophe, la première ferme fut d’abord la propriété de Benjamin Doherty, fils d’Archibald Doherty, dont nous avons déjà parlé. Il était marié et avait six enfants dont trois vivent encore à Morin. William, l’aîné, est marié et habite le village…. Wesley, le deuxième, vit un peu en dehors du village…. et Norman, son troisième fils, ne s’est jamais marié et habite aussi le village… Robert Goodfellow a acheté la ferme et l’a revendue plus tard… Cette ferme appartient aujourd’hui à M Mattenberger, qui est venu de Suisse avec sa femme et son fils, il y a quelques années. M Mattenberger a travaillé à contrat pendant quelques années, puis a construit un petit hôtel qu’il a appelé le Swiss Inn….» (page 25). La maison de ferme des Doherty fut incorporée dans cette plus récente construction. Le Swiss Inn est encore prospère bien qu’il ait eut plusieurs propriétaires depuis les Mattenberger. Un petit lac se trouve derrière l’hôtel, qui est relié au Lac Bouchette.
La ferme suivante décrite par Laura Nesbitt en 1955 est l’une des fermes ayant appartenue à la famille Bélisle. «Trois frères, Alexandre, Moïse et Ferdinand Bélisle ont du être parmi les premiers à s’établir dans la région… cette ferme est celle d’Alexandre Bélisle, dont le fils Moïse, y a vécut avec sa famille toute sa vie. Quatre membres de sa famille vivent à Morin : Eugène, Joseph, Henri et une sœur qui a marié Nazarius Bélisle d’une autre famille Bélisle. Eugène et sa famille vivent encore à la ferme.» (page 25).
Avec son grand bord de l’eau, la propriété adjacente a d’abord appartenu à Alexis Guénette. Plusieurs changements de propriétaires plus tard, la propriété fut achetée par John W. (Jimmy) Green et sa femme Frances. M. Green avait été le secrétaire-trésorier de Morin-Heights durant les années 1940 et 1950. La famille Green avait aussi cultivé les terres. Son fils Basil en est aujourd’hui propriétaire avec sa femme Lucille. De nos jours, il est très impliqué auprès de l’Association des propriétaires du Lac Bouchette qui fut fondée en 1966 dans le but de protéger le lac. L’association a acheté la digue au bout du lac et s’occupe de l’Île aux bleuets.
Le Rang IV monte le long de la propriété de la famille Green et continue vers la propriété que Laura Nesbitt avait décrit en 1955 comme étant «…la seule ferme de la famille Bélisle qui reste, celle de Ferdinand Bélisle, dont le grand-père était le frère de celui qui avait plusieurs enfants vivant encore à Morin…» (page 25). Au cours de la recherche pour cet article, nous avons parlé à Réjean Bélisle, petit-petit-fils de Ferdinand, qui demeure encore à la ferme familiale. En comptant la toute jeune petite-fille de Réjean, ça fait sept générations à habiter la très belle propriété juchée sur une colline. Bien que Réjean et sa famille possèdent encore deux chevaux, deux moutons, une douzaine de poules et qu’ils vendent du bois de chauffage, la famille ne vit pas des produits de la ferme, même si la maison d’origine, ses granges et ses étables servent encore. La famille Bélisle a aussi érigé la croix de chemin en face de la maison. Ces croix font parti des derniers symboles restant d’un Québec traditionnel et sont d’ailleurs maintenant très rares.
Sur la portion inférieure du Lac Bouchette (Rang III), la première ferme fut construite par William Kennedy. Il avait cinq enfants, dont Jack et Fred qui étaient jumeaux. Fred Kennedy a marié Jessie Doherty, fille de Benjamin Doherty, et leur fille, Dorothy Garayt qui habite toujours Morin-Heights, est l’une de nos sources fiables pour la rédaction de cet article. La ferme des Kennedy fut vendue et revendue. La maison de ferme d’origine est encore habitée mais le terrain a été subdivisé.
La ferme suivante a appartenu à Javier Guénette, fils d’Alexis. Vers les années 1950, elle fut vendue à M et Mme Wiertz, qui y ont ouvert le charmant Hôtel Châtelet qui possédait une très belle vue sur le lac. Le Châtelet fut malheureusement détruit par un incendie, il y a un certain temps maintenant. Il ne reste rien de la ferme de John Stapleton et sa famille, seul le fait que leur nom ait été donné à la montagne. Comme bien d’autres, leurs enfants sont déménagés, ont sub-divisé les terres et les ont vendues. Cette autre ferme fut occupée par une autre branche de la famille Bélisle (Moïse Bélisle). Sa petite-fille, Alice, s’est mariée avec Albert Corbeil, le barbier de Morin-Heights. Son établissement était situé dans l’édifice voisin du magasin Mickey’s et avait sur sa devanture l’authentique cylindre à bandes rouges et blanches du barbier/coiffeur qu’on reconnaît sur les vieilles photographies du village.
De l’autre côté du Rang III, qui s’appelle aujourd’hui le chemin Bélisle, il y avait la ferme des Labelle qui fut vendue vers les années 1950 pour être exploitée comme ferme avicole par M Vine, puis par M Simms qui a plus tard travaillé à la scierie de J.E. Seale. Cet endroit est aujourd’hui très bâti mais certaines des vieilles maisons d’origine existent encore.
Un peu plus loin sur le chemin Bélisle, nous arrivons au chemin du Lac Bouchette qui nous donne accès à la portion inférieure du lac (du côté du village). Le plus important site d’intérêt de ce côté est évidemment le Camp Wa-Thik-Ane, dont le nom signifie «eaux calmes», le camp des Guides du Canada qui existe depuis 1926.
Ce camp a été financé par un don fait en 1926 par Mme G. Herrick Duggan, sur des terres qui furent achetées de monsieur Herbert H. Field, totalisant 350 acres. Le camp d’origine semble avoir été principalement sur les Lots 29 et 30 du Rang III ainsi que sur une portion de terrain directement en face, de l’autre côté du lac. Le camping à l’époque était beaucoup plus sauvage qu’on le connaît aujourd’hui, sans les installations auxquelles nous sommes habituées de nos jours. Les fillettes débarquaient du train à la station de Morin-Heights et se rendaient au camp en voitures tirées par des chevaux avec Arthur Forget, Raoul Forget et monsieur Bélisle (prénom inconnu). Depuis l’ouverture du camp, plusieurs résidents des fermes voisines se sont chargés du transport, de la construction et de l’entretien général. Plus récemment, ce rôle est tenu par Denis Guénette qui y travaille depuis 50 ans maintenant. Dans un dépliant du camp «Wa-Thik-Ane, Quebec - 1926 à 2001», Eleanor Maxwell relate l’histoire du camp. En le lisant, on se rend vite compte que les membres de la communauté locale ont appuyé le camp depuis le début. C’est sûrement pourquoi il existe encore aujourd’hui et continue à accueillir des visiteurs.
Vingt-cinq ans plus tard, en 1951, le camp «…avait considérablement évolué et huit terrains de camping plus grands viennent aujourd’hui remplacer l’unique terrain de camping qui se trouvait au bord du Lac Bouchette. De nombreuses améliorations ont été apportées au site pour moderniser les abris de fortune, mais c’est l’esprit de camaraderie et l’importance du développement de l’autonomie qui perdurent.» (page 12) Toujours en 1951, plus de 600 fillettes de la région de Montréal étaient venues camper au Lac Bouchette. La natation, les excursions en canoës, les travaux manuels, le travail du bois et l’étude de la nature étaient au programme. Bien que le but de l’exercise soit d’abord l’apprentissage de nouvelles techniques dans le but d’obtenir les divers écussons propres au programme des Guides, une telle expérience du plein air en nature sauvage (très différente de la vie à Montréal) produit un effet positif sur les jeunes gens; c’est une belle expérience qui reste gravée à jamais dans leur mémoire.
Avec les Baby boomers, de 1950 à 1970, le camp a pris davantage d’expansion et bon nombre de ses vieilles structures furent remplacées par des nouvelles, des quais et des bannières ont aussi été ajoutés. En 1967, la succession de Mme R.E. Stavert, qui avait été la déléguée provinciale des Guides de 1959 à 1964, fit un important don qui servit à la rénovation du pavillon qui fut réouvert en 1970 et renommé Pavillon Stavert. Avec ses nouvelles structures permanentes, la saison de camping a pu être prolongée, incluant les fins de semaine au printemps et les fins de semaine à l’automne. L’enseigne d’origine du pavillon qui avait été peinte par Basil Green demeure sur le devant de l’édifice. (page 24)
Avec le temps, les camps furent davantage réglementés. Par exemple : «Les inspecteurs provinciaux de la Santé et de la protection contre les incendies, ainsi que l’Association québécoise des campings, nous ont forcés à faire d’autres changements : des portes supplémentaires dans les abris, des mains courantes, des escaliers et des seaux d’eau près de toutes les tentes pour ne mentionner que ceux-là. En 1975, nous avons dû nous défaire des bonnes vieilles lanternes à l’huile…» (page 28).
Durant ces années, le camping de fin de semaine avait gagné en popularité et divers groupes, pas seulement les Guides, l’utilisaient. Les écoles et les familles pouvaient utiliser le site hors-saison. Le terrain fait aujourd’hui 400 acres. Sans entretien continuel, le site se détériorerait. Actuellement, des problèmes d’érosion, surtout au bord de l’eau, inquiètent. De plus, depuis plusieurs années, les campeurs s’aventurent dans la portion sauvage du site, de l’autre côté du lac…«les guides peuvent se rendre plus loin que l’Île aux bleuets, jusqu’au pont et peut-être remonter le courant jusqu’au Lac Franc. L’une des plus récentes attractions se trouve sur le ruisseau adjacent au site qui abrite une digue de castors, un chef d’œuvre d’ingénierie qui a créé un grand étang.» (page 38). Un séjour à Wa-Thik-Ane est une aventure exceptionnelle et différente pour les jeunes citadins. Il faudra cependant être prudents et savoir protéger cet environnement naturel de l’expansion rapide des banlieues vers le Nord.
Passé le Camp de Guides, l’extrémité du Lac Bouchette (en incluant la péninsule et la berge du côté du Rang IV) n’a pas beaucoup changé et demeure peu développée. Au cours des années 1950, la plage à pente douce à la tête du lac était un terrain de camping pour un grand nombre de familles hongroises de Montréal. Au début, il n’y avait pas de structures permanentes qui y étaient construites. Les gens montaient pour la journée ou dormaient dans une tente. Peu à peu, on vit apparaître des petits chalets d’été. Il en reste encore plusieurs cachés dans les arbres, qui rappellent le paysage laurentien d’il y a 40 ans. On y compte seulement une poignée de maisons habitées à l’année. Sylvia Fendle se souvient d’être venue sur cette plage avec sa famille, alors qu’elle n’était qu’une enfant et d’avoir fait des feux de camp et mangé des repas en plein air. Cette portion du lac qui était pleine de bois de grève abritait une vaste population de gros ouaouarons. Il semble que le fait d’avoir nettoyé et enlevé le bois de grève ait entraîné le déclin de l’importante population de batraciens. Toutefois, l’endroit est encore paisible et abrite une grande diversité de plantes terrestres et aquatiques qui forment un écosystème important qu’il faut continuer à préserver.
De retour à la portion du Lac Bouchette qui touche le Rang IV, en continuant à monter vers la frontière entre Morin-Heights et Ste-Adèle, passé la ferme des Bélisle, se trouvent plusieurs lacs complètement sauvages qui cachent une diversité incroyable d’espèces d’oiseaux, notamment des hérons et des canards. Lors de nos recherches, nous nous sommes retrouvées face à face avec un monument pyramidal fait de pierres des champs qui porte l’inscription : «Aux Combattants /Pour la Liberté et la Paix /Le Souvenir Français ». De toute évidence c’est un monument dédié à la mémoire des vétérans, mais son emplacement intrigue, plutôt à l’écart de la route et dans une clairière. Tout comme avec notre recherche sur l’origine des différents noms du Lac Bouchette, nous n’avons ni trouvé d’explication sur la présence de ce monument, ni pu en identifier l’origine. Il est peut-être attribuable au groupe de campeurs appelé «Sac au Dos», dont le nom est inscrit sur une pierre en face…? Disons que pour le moment, le mystère perdure.
La région montagneuse et presque entièrement sauvage de la portion antérieure des IVe, Ve et VIe Rangs est sillonnée de sentiers de ski de fond. Les plus connus sont : Portageur, Viking West, Lovers’ Leap et Rapide Blanc. Ils sont classés difficiles (très difficiles!) pour le ski de randonnée nordique et sont entretenus par la municipalité de Morin-Heights ainsi que par des individus enthousiastes et dévoués au ski. Malheureusement, la menace croissante du développement par des entrepreneurs privés empiète sur le paysage, surtout dans le secteur des Rangs V et VI. Certains propriétaires s’opposent maintenant à laisser passer les skieurs sur leur terrain et les sentiers doivent être redessinés ou raccourcis. Certains de ces sentiers sont utilisés depuis plus de 60 ans (Portageur, par exemple) et font partie de notre héritage culturel et naturel et devraient être protégés. Des plaques commémoratives pourraient aussi être installées racontant l’origine et l’historique des sentiers les plus importants.
Le grand et très beau Lac Théodore se trouve à la pointe du triangle, fermé par le Rang VI. Le lac est surtout sur le territoire de Ste-Adèle et en patrie à St-Adolphe d’Howard. Pour accéder au secteur de Morin-Heights en auto, il faut passer par Ste-Adèle. C’est une portion de Morin-Heights qui est assez élevée, avec beaucoup de petits cours d’eau, de marécages et bien sûr, le grand Lac Théodore, encore intouché.
Sources et remerciements: Merci à Réjean Bélisle, Basil Green, Dorothy (Kennedy) Garayt, Joy Kirkpatrick et Sylvia Fendle pour leur assistance et les informations fournies; Morin Heights, 1855 – 1955, Laura (Davis) Nesbit,t Wa-Thik-Ane, Quebec, 1926 – 2001, Eleanor Maxwell, Guides du Canada. Le plan de cadastre de la portion du Canton de Morin est copié de «Carte du Comté d’Argenteuil, Service du Cadastre, Montréal, 20 octobre 1924». Archives du Canada (en-ligne). Collection de photographies de l’Association historique de Morin-Heights et photos récentes de paysages par l’auteur.
Sandra Stock est la fondatrice et la présidente de l’Association historique de Morin-Heights et depuis peu la directrice régionale du réseau Quebec Anglophone Heritage Network, secteurs Laurentides et Lanaudière. Enseignante de profession, Sandra possède une formation en littérature et en beaux art. Elle écrit aussi pour plusieurs publications dans les Laurentides.