La venue du chemin de fer change les Laurentides

Par Sandra Stock   (traduction : Natasha Caron )

La revue Le Porc-épic – édition No. 6 – 2004

C’est vers 1879 que l’isolation des localités dans les basses Laurentides a peu à peu commencée à prendre fin avec l’arrivée du chemin de fer reliant Montréal et St-Jérôme. Cette première ligne, qu’on appelait Montréal et Occidental, faisait partie des projets ambitieux de l’énergique curé Labelle qui entrevoyait le développement des régions du Nord québécois. C’était cependant aussi une manifestation caractéristique typique de l’esprit victorien qui régnait à l’époque au Canada. La création de notre pays en 1867 reposait sur la présence d’un chemin de fer d’un océan à l’autre facilitant le progrès économique et l’union politique centralisée.

Bien que la ligne menant à St-Jérôme demeurait encore loin des villages de pionniers les plus au Nord tels St-Sauveur-des-Monts, Morin-Heights et Ste-Adèle, c’était déjà une amélioration. Les premiers à s’installer (1830 à 1850) étaient venus à pied habituellement suivant des cours d’eau et guidés par des trappeurs autochtones ou des arpenteurs du gouvernement. Les pionniers de langue française venaient des vieilles terres seigneuriales bordant le St-Laurent, St-Eustache, Ste-Scholastique, etc. Les pionniers de langue anglaise étaient venus en barge de Montréal, pour la plupart par la rivière des Outaouais pour s’établir plus tard à St-Andrews Est, Lachute, Lakefield, Mille Isles et plus tard, à Morin et Arundel. Ils étaient en majorité des immigrants venus directement d’Irlande, quelques-uns étaient venus d’Angleterre ou d’Écosse et quelques autres, des descendants de la première génération de pionniers installés dans le Bas Canada (Québec) qui souhaitaient obtenir leur propre terre de la Couronne dans ces nouvelles régions.

Le chemin de fer est arrivé au village de Morin Flats en 1895. De 1840 jusqu’à cette date, les premiers citoyens du canton de Morin étaient presque totalement isolés du monde extérieur dans un territoire montagneux avec de rudes hivers, des printemps boueux et des conditions de vie difficiles en général. La situation était la même, sinon pire, sur l’ensemble du territoire laurentien. La première récolte à être vendue pour un profit en fut une de potasse, faite en brûlant les arbres abattus lors du défrichage des terres pour l’agriculture. Pour emmener ce produit au marché, les pionniers devaient marcher jusqu’à St-Jérôme ou Lachute. On a même rapporté que dans de rares cas, certains avaient marché jusqu’à Montréal. Peu nombreux étaient ceux qui possédaient des chevaux; la terre n’était pas encore assez défrichée pour y faire pousser le fourrage pour nourrir les animaux. Sans animaux pour tirer la bineuse, le travail s’effectuait à la main. A cela s’ajoutait un sol très rocailleux et une saison chaude courte, des conditions très peu propices à l’agriculture.

Le chemin de fer s’est plus tard rendu jusqu’à Ste-Agathe et c’est en 1892, que le premier train est arrivé à Piedmont, encore à 8 miles du canton de Morin, mais certainement préférable à la marche de 30 miles jusqu’à St-Jérôme. À peu près à la même époque, le service ferroviaire s’était étendu à la région de Lachute. On parlait même de partir à la découverte des régions nordiques jusque dans l’Ouest vers Winnipeg, du lac St-Jean à L’Est en ‘ouvrant’ la région sauvage des Laurentides au passage.

En1890, une autre compagnie, la Montfort Colonisation Railway a été constituée, plus tard connue sous le nom de Great Northern Railway et encore plus tard, le Canadian National Railway. Au départ, la ligne qui joignait Morin Flats en 1895 puis Arundel et Huberdeau quelques années après, le faisait à un endroit qu’on appelait la Montfort Junction. Cette première jonction, située en dehors de St-Jérôme où l’on pouvait y faire un transfert de la ligne Montréal-St-Jérôme, était désormais appelée la Canadian Pacific Railway. Quand cette ligne se rendit jusqu’à Piedmont un peu plus tard, c’est là que la Montfort Junction a été créée.  Une vieille carte des Laurentides, du Canadien Pacifique datant de 1911, montre cette jonction près de St-Jérôme bien que l’endroit pour transférer ait été déplacé plus au Nord. Cette ligne qui rencontrait le chemin de fer du C à travers St-Sauveur, Morin Flats et Huberdeau était aussi clairement indiquée. Plus les rails du CN se rendirent jusqu’à St-Rémi d’Amherst (Lac Rémi) et le CP s’étendit bien plus au Nord, jusqu’à Mont-Laurier.

En 1890. L’économie des basses Laurentides s’était considérablement développée au-delà de la production de potasse et de l’agriculture de subsistance. L’industrie du bois de sciage était à son plus fort dans la vallée de l’Outaouais et dans les régions du Nord du Québec. Il y eut aussi quelques tentatives d’exploitation minière dans les Laurentides dont une mine de mica à St-Rémi et des carrières de granite autour de Rockway Valley, près d’Arundel. La raison d’être du chemin de fer était de transporter les ressources naturelles et leurs produits d’exploitation d’une région à l’autre. Probablement à la grande surprise des propriétaires des chemins de fer, ce fut le transport des vacanciers vers ces régions nouvellement accessibles qui s’avéra le plus rentable à long terme. Le transport de bois de sciage et plus tard, du bois d’œuvre transformé a toujours occupé une place importante. Le service ferroviaire était prévisible et fiable même dans les pires conditions météorologiques hivernales. Il n’en demeure pas moins que c’est l’avènement du tourisme qui a amené les communautés laurentiennes au pas de la vie moderne.

Les premières régions à être perçues comme des ‘retraites’ du stress de la ville, au début seulement l’été, ont d’abord été les endroits les plus rapprochés de Montréal, comme Shawbridge. Il n’est pas surprenant qu’Alex Foster de Shawbridge ait inventé le premier remonte-pente au Canada vers 1930. Bien que le ski de fond (nordique) fût déjà très populaire dans la région, c’est l’évolution du ski alpin avec ses centres de ski accommodants qui a vraiment entraîné l’expansion de l’industrie touristique dans les Laurentides. Il n’y avait toujours pas de bonnes routes praticables à l’année et les voitures demeurèrent assez rares jusqu’à plus tard dans les années 50. C’était encore une région très dépendante du chemin de fer. Le transport local se faisait surtout en traîneaux tirés par des chevaux et en charrette l’été.

Les trains bondés de skieurs étaient plutôt perçus comme le véhicule de cette industrie croissante du tourisme plutôt qu’un simple moyen de transport. Les wagons furent adaptés au transport des skis(un équipement peu commode à transporter) et la vie sociale tournait autour des fins de semaine de ski dans les Laurentides. L’arrivée du train était un événement en soi. À Morin-Heights, (le nom a été changé en 1911 pour encourager les touristes) une industrie locale s’est développée : des maisons de pension pour les vacanciers d’été et d’hiver, les charrettes l’été et les traîneaux l’hiver constituaient le service de taxi pour se rendre à la station ou la quitter, ultérieurement ) des restaurants, des bars et de vrais hôtels, des chalets à louer et des remonte-pentes fournirent tous des retombées économiques. L’industrie du ski a attiré des gens expérimentés dans les Laurentides, expérimentés dans les industries du tourisme et du ski. Ils étaient nombreux à être d’origine allemande, suisse et scandinave.

Les changements sociaux économiques du 20ème siècle gagnant finalement le Québec en général et les Laurentides en particulier, le chemin de fer est devenu avec le temps, un moyen désuet et peu lucratif de voyager. Dans un sens, ils ont contribué à leur propre déclin en rendant la région plus accessible au monde extérieur. L’économie, fondée sur les ressources naturelles issues d’exploitations familiales et de scieries n’a pu survivre avec l’avènement de l’agriculture mécanisée et les nouvelles exigences industrielles. Même l’industrie florissante du tourisme changea avec l’amélioration des systèmes routiers. Les familles possédaient maintenant presque toutes une automobile. En 1960, surtout après la construction de l’Autoroute des Laurentides, les skieurs et autres touristes pouvaient se rendre de Montréal à St-Sauveur en 45 minutes ou à Ste-Agathe, en à peine plus d’une heure. La nécessité de louer une chambre pour la nuit était ainsi grandement réduite et celle d’un chemin de fer pour transporter les passagers, pratiquement nulle. Le dernier train à arriver à Morin-Heights fut en 1962. En 1970, il n’y avait plus de trains d’aucune sorte dans les basses Laurentides et on avait commencé à retirer les rails

Ainsi la nature de la vie sociale et économique des Laurentides changea et les différentes communautés réagirent différemment. Certaines comme St-Jérôme, Lachute et même Ste-Agathe, plus au Nord ont continué comme de petites villes à servir leur communauté plus large et à se développer au rythme des plus grandes villes. Certaines comme St-Sauveur ont progressé jusqu’à devenir un centre de renommée internationale, ayant perdu son cachet campagnard. D’autres comme Val-David ont opté pour un développement à caractère culturel et artistique. D’’autres comme Morin-Heights, Montfort et Mille-Isles ont connu une sorte de déclin, en perdant leurs hôtels et petites entreprises axées sur le tourisme. Toutefois, ces municipalités moins ‘développées commercialement’ ont fait prendre conscience de l’importance de la préservation du mode de vie des régions rurales par opposition aux banlieues ternes et distantes de Montréal.

L’emplacement de l’ancien chemin de fer du CN est devenu le Corridor aérobique, destiné aux sports non motorisés tels, le ski de fond et les randonnées pédestres l’été. Une entreprise similaire a été d’avantage développée sur l’emplacement des rails du CP entre St-Jérôme et Mont-Laurier. Le legs du chemin de fer a été recyclé et renaît dans le nouvel âge de l’éco-tourisme. Il est à souhaiter que cette tendance continuera et prendra plus d’ampleur dans les basses Laurentides.

Sources : Morin-Heights, 1855-1955, Laura Nesbitt, Morin Heights, 1855-1980, J.F. Trenholm, Skiing Legends and the Laurentian Lodge Club, Neil & Catherine McKenty, 2000: The Porcupine numéro 4, Association historique de Morin-eights, 2001; Recollections of a Railway Man, Mike Lavendel et Friday Night Trains, Rowena Blair; Map of the Canadian Branch of the Canadian Pacific Railway in the Province of Quebec, 1911.